Ainsi parlait en ce mois de juillet un agriculteur du Cotentin, éleveur de chevaux et de bovins de son état ou, plus exactement, agriculteur retraité mais toujours actif puisqu’avec sa femme, il aide sa fille à reprendre l’exploitation familiale. On s’en doute, le travail ne manque pas et, s’il y a bien un métier où le désormais fameux slogan « travailler plus pour gagner plus » devrait trouver sa pleine signification, c’est bien celui de l’agriculture où l’on ne compte ni ses heures, ni sa peine. La réalité vécue sur le terrain est pourtant que, plus on travaille — dans un travail productif –, moins on gagne. Et dans le cas présent, sans ses parents, la fille serait condamnée à clore son activité.
En fait, comme tant d’autres agriculteurs, elle travaille à perte. Il faut dire qu’une célèbre banque agricole, que l’on ne nommera pas, se sentant visiblement investi d’une autorité morale discutable, a jugé bon de lui recommander de se limiter à l’éducation de ses enfants plutôt que de se lancer dans l’agriculture. Inutile d’ajouter que le modeste crédit qu’elle demandait lui a été refusé. Mais surtout, au-travers de cette attitude aussi scandaleuse que courante des banques, se manifeste la volonté de casser l’agriculture française. Entendons-nous bien, ce qui ressort des cas de ce type, nombreux en France, est une décision politique d’éliminer les petits paysans pour faire place nette aux grandes exploitations. Autant ce choix a pu s’expliquer à un certain moment où l’agriculture représentait encore une grosse proportion de l’activité du pays avec une pléthore de minuscules exploitations peu rentables, autant aujourd’hui ce choix ne s’explique pas et mène à une situation critique pour la France.
Quoi qu’il en soit, cette politique semble assez bien “fonctionner” et porter les fruits désirés. Dès que l’on quitte le secteur de Flamanville et de la Hague, où les communes bénéficient de la manne financière des centrales nucléaires, fini les belles routes, les villages deviennent moins pimpants, et l’on voit de bourgade en bourgade restaurants, cafés, bars tabacs, voire petits commerces, qui semblent tous avoir récemment mis la clef sous la porte.
Mais revenons à nos vaches. Notre agriculteur nous expliquait un phénomène des plus significatifs. Du fait de la crise et de la politique de casse des agriculteurs, nombreux sont ceux qui se découragent, voire se suicident (c’est parmi les agriculteurs que la France compte les taux de suicide les plus élevés), les exploitations ferment avec comme conséquence qu’il n’y a plus assez de lait. Aujourd’hui, dans le Cotentin, les laiteries ne sont approvisionnées qu’à 80% de leurs besoins, et nombre de camions citerne roulent sur les routes remplis seulement à moitié.
N’est-ce pas, finalement, une bonne nouvelle pour les éleveurs vous exclamerez-vous, à juste titre ! Les lois de l’offre et de la demande vont jouer et l’on proposera à nos fermiers un meilleur prix pour leur lait, ce qui leur permettra de pouvoir, enfin, vivre de leur travail !
Que nenni ! Il s’avère que les laiteries achètent en fait le lait manquant … en Allemagne, où le prix est pourtant sensiblement plus élevé qu’en France (0,317 € le litre de lait en France au 1er trimestre 2013) ! Seraient-elles démentes ?
Que nenni ! Supposons que les laiteries décident d’acheter leur lait en France, le prix s’en trouvera renchérit, ce qu’elles verront d’un très mauvais œil. Elles diraient qu’à ce rythme elle ne pourront plus être concurrentielles, ce qui est peut-être même vrai. Le calcul est vite fait : les 20% de lait acheté en Allemagne à prix fort permettent de maintenir le 80% de lait acheté en France à un prix de braderie ne permettant pas la survie du producteur mais donnant une marge de profit aux laiteries … et des dividendes pour leurs actionnaires. Au bout du compte, la force vive de notre pays – ici dans l’agriculture – se trouve bafouée et sacrifiée à la logique prédatrice des nouveaux petits barons.
Mais l’agriculture, c’est ce que nous avons dans notre assiette, c’est notre autonomie alimentaire, c’est ce qui fait la différence entre un pays du tiers-monde et un pays développé ! Alors, oui, comme le disait notre agriculteur, il est bien possible que demain, en France, il n’y ait plus assez pour tous et que l’on ait faim.
Laisser une Réponse