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De Nicosie à Berne, ou vice-versa ?

Chypre, vous vous souvenez ? Le nom de cet État membre de l’Union européenne s’est invité brutalement dans l’actualité à la mi-mars avant de disparaître non moins brutalement après avoir failli faire définitivement couler un système financier déjà moribond. La crise chypriote, qui s’était déjà manifestée par des demandes de renflouement, était pourtant sur l’agenda depuis bien longtemps, mais ce n’est qu’au dernier moment, quand la situation rendait inévitable des mesures extrêmes, que les autorités « compétentes » ont décidé d’agir.

La Troïka, violant une nouvelle fois ses propres principes, notamment sur la libre circulation des capitaux, imposa alors un blocus monétaire et un strict contrôle des capitaux avant de lancer au gouvernement chypriote une proposition-qui-ne-se-refuse-pas et qui suscita un tollé dans le monde. Pour rassembler les 13 milliards d’euros nécessaires à son sauvetage, Chypre devait se procurer l’argent en ponctionnant directement les comptes bancaires des particuliers à hauteur de 6,75 % pour les dépôts inférieurs à 100.000 € et de 9,9 % pour ceux supérieurs à ce montant. Face à l’indignation généralisée, les autorités « compétentes » procédèrent alors à un réajustement et décidèrent que les ponctions (pouvant aller jusqu’à 60%) ne concerneraient que les dépôts de plus de 100.000 €, le tout justifié par un argument pseudo moral qu’il ne fallait pas faire payer les contribuables (la réalité étant qu’après s’être copieusement servi dans les caisses des Etats, celles-ci étaient vides) et que l’économie de Chypre étant constituée pour l’essentiel par des avoirs financiers, c’est là qu’il fallait puiser !

L’avantage de cette nouvelle mouture était incontestable : compte-tenu de la vision caricaturale que les occidentaux ont de Chypre, personne n’allait pleurer sur des détenteurs de comptes supposés être tous de riches mafieux ou exilés fiscaux russes installés dans ce paradis fiscal. Évidemment, la réalité est un peu plus compliquée, notamment pour les entreprises qui, à partir d’une certaine taille, peuvent très facilement détenir des dépôts d’un montant supérieur à 100.000 €, ne serait-ce que pour régler les salaires de leurs employés.

Au delà du vol pur et simple que cela représente – et ce d’autant plus qu’il n’y a même pas l’excuse que cet argent soit destiné à relancer l’économie – l’inanité de la mesure est confirmée par les chiffres que vient de divulguer la Banque centrale européenne elle-même, montrant que les dépôts bancaires à Chypre ont chuté de 1,8 milliards d’euros en mars par rapport à février, soit une baisse de 3,9 %, ce qui est considéré par la BCE comme très peu, mais attendons de voir ce que seront les chiffres d’avril par rapport à mars …

A l’annonce de ces mesures sans précédents, nos dirigeants firent des déclarations solennelles affirmant qu’elles étaient exceptionnelles et que jamais on ne ferait la même chose dans les autres pays européens.

C’était – faut-il s’en étonner – un mensonge.

En effet, on apprit par la suite que les mesures en question étaient destinées à devenir le « modèle » pour l’Europe (voir Chypre : un tournant dans l’histoire du système financier). Celles-ci avaient été discutées, en cercles fermés, depuis 2011 à l’échelle européenne. Toutefois, ce que l’on ne sait pas, c’est qu’un pays non membre de l’Union européenne avait dès l’automne 2012 adopté ces mesures en toute discrétion. Ce pays, c’est la Suisse.

Pour l’essentiel, les citoyens suisses ne sont pas conscients, ou tout du moins n’ont peut-être pas bien compris l’enjeu derrière la nouvelle régulation qui a été introduite l’an dernier. Celle-ci anticipait le fameux « renflouement intérieur » (bail-in) dont la première application a été Chypre.

Il est évidemment « impensable » que ce qui est arrivé à Chypre puisse se produire en Suisse, où la base même de la réussite bancaire helvétique repose sur la confiance absolue de la garantie des dépôts. En réalité, un dispositif mis en place par la FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) et reposant sur les prescriptions du Conseil de stabilité financière a été adopté le 1er novembre 2012. Celui-ci prévoit qu’en cas de faillite d’une grande banque, la priorité doit être donnée au sauvetage du système et non des créditeurs.

En effet, la Nouvelle ordonnance sur l’insolvabilité bancaire du 22 octobre 2012 intitulée “Un élément important pour l’assainissement efficace des banques et leur sortie ordonnée du marché” précise bien que « L’assainissement repose sur les mesures de capitalisation. Celles-ci doivent faire primer les intérêts des créanciers sur ceux des propriétaires tout en permettant à la banque d’obtenir suffisamment de nouveaux capitaux pour pouvoir respecter les exigences minimales de fonds propres après l’assainissement. ». La FINMA décrit le dispositif dans les termes suivants : « L’OIB-FINMA satisfait aux exigences des Key Attributes of Effective Résolution Regimes of Financial Institutions du CSF [Conseil de stabilité financière] d’octobre 2011, à quelques exceptions près qui sont plutôt secondaires. Elle est également compatible avec la proposition d’une directive européenne établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement, que la Commission européenne a présentée au grand public début juin 2012. »

Dans une émission de la SRF (Schweizer Radio und Fernsehen), Tobias Lux, le porte-parole de la FINMA déclarait le 28 mars que les déposants de Chypre ne seraient pas les seuls à payer en cas de faillite puisqu’une même procédure serait possible en Suisse et qu’une loi en ce sens était préparée pour l’Union européenne.

Visiblement Tobias Lux se félicitait d’une mesure qu’il considérait comme plaçant la Suisse dans l’avant-garde des pays « novateurs » en la matière. Et, de facto, il semblerait que la question ait fait l’objet de discussions dans les milieux financiers helvétiques si l’on en croit un article paru dès janvier 2010 dans The Economist sous la plume de Paul Calello, aujourd’hui décédé et à l’époque président de la banque d’investissement Crédit suisse, et de Wilson Erwin, Chief risk officer également de Crédit suisse.

Lors de la récente conférence de l’Institut Schiller qui s’est tenue à Flörsheim (Allemagne), Daisuke Kotegawa, actuellement directeur de recherche de la fondation Canon et ancien directeur du ministère japonais des finances, expliquait comment s’était déroulé la liquidation – dont on lui avait confié la charge – des principales institutions financières à la suite de la crise de 1997-1998.

A la fin de sa présentation aussi instructive qu’édifiante, il concluait par les mots suivants :

« Comme vous le savez, une banque peut opérer aussi longtemps qu’elle maintient 10 % de ses actifs sous forme de fonds propres. Le cœur du métier bancaire est la création de cette confiance. Prenez par exemple une banque détenant des actifs de 100 millions. Elle n’a pas besoin de garder 100 millions en liquidités disponibles car tant que règne la confiance, les épargnants ne demanderont pas de disposer de leur argent en même temps. La différence entre les réserves obligatoires de 10 millions et les 100 millions que nous venons de mentionner peut être utilisée comme source de prêt supplémentaire, au-delà des fonds propres et réserves de la banque.

« La politique choisie par l’Union européenne détruit cette confiance. Elle viole la notion de base sur laquelle une banque peut exister et opérer. J’espère que ce type de politique, qui a été suggéré par Bruxelles, sera abandonné au plus vite, car elle aura un effet de contagion sur les autres pays.

« Il est vital de rétablir la loi Glass-Steagall dès maintenant, et les banques d’investissement doivent être liquidées le plus tôt possible afin de sauver l’Europe. Ceci est une guerre contre des banquiers fourbes, qui ont gagné beaucoup d’argent par le jeu et laissé les contribuables payer pour les pertes, tandis qu’ils ont échappé aux impôts et autorités de régulation financière (qui sont leurs alliés) en se réfugiant dans les paradis fiscaux. »

Or, qui mieux que les Suisses savent le prix de la confiance. Une fois disparue cette relation privilégiée si longue à obtenir, il n’est plus possible de bâtir une société tournée vers l’avenir. Comme le dit éloquemment Kaisuke Kotegawa, il n’y a qu’une solution pour conserver cette confiance : l’instauration du Glass Steagall. Une discussion avait commencé au Conseil fédéral sur la nécessité de le mettre en place, cette discussion doit être reprise de toute urgence.

Les banques assurant les fonctions de dépôt et de crédit (banques dites commerciales) étant séparées des banques investissant sur les marchés, les opérations des secondes ne pourront plus contaminer les premières, et le risque couru par les déposants sera réduit à zéro pour le plus grand bien de tous.

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